De la restauration à la conservation préventive

Auteur : Véronique Monier, consultante en conservation préventive. Février 1996

Introduction

Dans un temps qui voit la diminution des budgets alloués à la restauration aux campagnes coûteuses, et l’altération inquiétante des collections consécutive à leur exploitation toujours plus importante, la notion de conservation préventive des collections s’impose avec plus de vigueur aux responsables des biens culturels.

Une vision globale, voire une écologie

Le domaine de la conservation-restauration est le traitement individualisé de l’objet. La conservation préventive, elle, implique un changement d’échelle. Elle préconise des mesures touchant les collections considérées comme un ensemble et tend à articuler les différentes responsabilités autour de leur préservation. Il ne s’agit plus d’aménagements sectoriels mais d’une appréciation globale des diverses missions patrimoniales dans un esprit de système. Lors du premier colloque entièrement consacré à la conservation préventive1 elle a pu être définie comme une écologie. Plus qu’un ensemble de techniques, c’est une philosophie assortie d’une méthodologie.

La conservation préventive

n’agit pas sur les objets mais sur leur environnement. Au delà du climat, température et hygrométrie, l’environnement est défini et analysé comme le lieu des interactions entre tous les paramètres du fonctionnement d’une institution: budgets, compétences, organigramme, statut juridique, architecture, moyens techniques, météorologie, formation, statuts des personnels, etc. Tout, y compris l’age du directeur, concoure à la préservation ou à la destruction du patrimoine selon que l’environnement, au sens le plus large, sera ou non adapté à sa mission! La conservation préventive a pour objectif d’évaluer les risques encourus à tous les niveaux, de réformer, organiser et maintenir un système de gestion favorable à la conservation matérielle des collections.

Les missions des institutions patrimoniales sont-elles antinomiques ?

Il est établi que la double mission d’un institution patrimoniale est de conserver et d’exploiter ses collections : préserver pour le futur un nombre infini d’objets de toute nature tout en les étudiant, les montrant, les publiant, les prêtant, les photographiant, les emballant, etc… Intégrant cette contrainte, certaines institutions étrangères fonctionnent sous la double responsabilité d’un curator et d’un conservator de compétences et de formation différentes et complémentaires; pour simplifier, l’un – un universitaire le plus souvent – est spécialiste de l’étude et de la publication des collections, l’autre – issu d’une filière supérieure en conservation-restauration – de leur conservation matérielle; les choix d’exploitation ou d’acquisition relèvent de la mise en commun de ces deux expertises. En France, la double mission d’une institution est traditionnellement vécue comme contradictoire et les compromis efficaces souvent difficiles à envisager.

Or, pour un musée,

l’intégration des fonctions de conservation et de diffusion est incontournable et vitale. Ce sont les deux faces d’une même vocation. Aussi est-il indispensable que des protocoles administratifs et gestionnaires soient instaurés et des moyens techniques attribués pour permettre le fonctionnement organique des missions de l’institution, améliorant et rationalisant les espaces, les procédures, les ressources, dans un seul but, assurer la conservation matérielle des collections à tous moments: déménagement, rénovation, montage d’expositions, mais aussi consultation, prises de vues, mouvements dans et en dehors du lieu de stockage ou de présentation. C’est là le champ de la conservation préventive et à travers sa notion devrait se réaliser un formidable bouleversement de la gestion des institutions.

Ce programme ambitieux, la plupart des grands musées anglo-saxons2 d’esprit définitivement pragmatique, n’ont pas hésité à le mettre en œuvre avec succès .

Nos musées, et autres conservatoires d’objets de toutes sortes sont-ils prêts à s’organiser autour de ce nouveau concept? Les architectes, programmateurs, muséographes à adapter leur prestigieuses réalisations? Les régisseurs, transporteurs, emballeurs à modifier leurs habitudes? Les conservateurs à orchestrer les exigences de la conservation préventive ? Ceux qui le sont, le peuvent-ils ?

Une voie nouvelle

La mise en place d’un véritable projet de conservation des collections peut paraître d’emblée coûteux et peu médiatique. Pourtant il n’est plus possible de laisser se détériorer les collections pour, au mieux, les restaurer à grand frais. Rien en effet ne compensera jamais l’altération ou la perte d’originaux. Consciente de cette évidence, l’Université de Paris 1, organisatrice depuis 1973 de la Maîtrise de Sciences et Techniques en Conservation-Restauration des biens culturels – première formation supérieure en France en ce domaine qu’elle a fait progresser durablement -, a crée en 1994 le premier DESS de Conservation Préventive. Douze professionnels de l’évaluation et de la gestion des risques sont sortis diplômés en juin dernier.

1 ARAAFU, Paris 1992, « La conservation préventive », actes du colloque.

2 Le Musée des Civilisations à Ottawa est un exemple en la matière.